La vie est faite de choix. Oui ou non. Continuer ou abandonner. Se relever ou rester à terre. Certains choix comptent plus que d'autres : Aimer ou haïr. Etre un héros ou un lâche. Se battre ou se rendre. Vivre ou mourir. Vivre ou mourir. Le choix le plus important. Mais la décision nous appartient rarement. Assise à ma place, coincée entre un vieil homme bedonnant et une jeune névrosée, je tentais de trouver le sommeil. Sans que je m’en aperçoive et après quelques minutes de tentatives infructueuse, Morphée m’accueillit à bras ouverts. Dans ma tête, je vis le film de ma vie.
New York, 05 décembre 1993 – Maison des Oak« Maman ? C'est qui le garçon qui est avec papa ? » Assise près de la fenêtre, je scrutai le gamin qui tenait la main de mon père. Ma mère s'approcha.
« C'est ton cousin, ma chérie. Il s'appelle Etheniel. » Elle lâcha le rideau et s'accroupit pour être à ma hauteur.
« Il va venir habiter avec nous parce que son papa et sa maman sont montés près des anges. » Je regardai ma mère perplexe et haussé les épaules. J'allais enfin avoir quelqu'un pour s'amuser avec moi, c'était tout ce qui comptait. Mon père passa alors la porte de la maison suivi de près par Etheniel. Il regardait le sol et suivait mon père comme un petit chien. Avant de nous adresser la parole, papa glissa quelques mots à l'oreille de mon « nouveau » frère.
« Ma chérie, Eurydice, je vous présente le fils de ma soeur, Etheniel. Mon bonhomme, je te présente ma femme, Erine et notre fille, Eurydice. Bienvenue à la maison, mon grand ! » Mon père sourit au nouvel arrivant et je m'avançai.
« Moi, c'est Eurydice. J'ai quatre ans. Tu viens jouer avec moi ? » Premier mot adresser à Etheniel. C'était il y a dix-huit ans.
New York, 17 mars 2005 – Toilettes du lycéeJ’étais en train de me laver les mains quand la porte des toilettes se ferma. Intriguée, je me retournai pour faire face à un élève de terminale. Son regard en disait long sur ses intentions. Apeurée, je cherchai désespérément une autre issue, mais il bloquait la seule porte de l’endroit.
« Tu es coincée, ma jolie ! Cependant, je te propose un truc. Tu fais ce que je veux et je te laisse partir. » Je fis non de la tête. Je ne céderai pas à ses avances. Il aurait été un minimum beau, passe encore, mais là, c’était un parfait laideron.
« Comme ça tu ne veux pas jouer avec moi ? Comme c’est dommage, moi qui ne voulais pas te forcer. » L’élève m’attrapa alors par les épaules et me colla au mur. J’avais beau me débattre, il était bien plus fort que moi et je ne pus rien contre lui. Alors qu’il commençait à me déshabiller, je me souvins du meilleur remède contre une agression : le coup de pied où ça fait mal. Suite à mon geste bien placé, le jeune homme dégagea son étreinte et je pus m’échapper. Courant à en perdre haleine, je sortis de l’école et rentrait à la maison. Haletante, je passai la porte d’entrée et me refugiai dans ma chambre. Je me mis alors à pleurer et jura que personne ne saurait rien de cet épisode et qu’aucun homme ne s’aviserait de jouer avec moi comme ce co***rd venait de la faire.
New York, 26 juin 2007 – Maison des Oak « Alors comme ça, tu t’en vas vraiment ? » Appuyé au chambranle de la porte, je regardais Etheniel faire ses valises. Il avait annoncé ça il y a quelques jours. Au début, je ne l’avais pas cru, je pensais vraiment qu’il disait encore une connerie. Apparemment, ce n’était pas le cas. Mon frère s’arrêta quelques instants et me fixa du regard.
« Tu ne me croyais pas, est-ce que je me trompe ? » Il eut un sourire et se remit à ranger ses affaires dans les deux grands sacs posés sur son lit. Je rentrai dans la chambre et m’assit sur sa chaise de bureau.
« Et tu comptes aller où ? Et pour faire quoi ? » Soudain, mon portable entonna
9 crimes de Damien Rice. Je venais de recevoir un message.
« C’est quoi son nom, cette fois-ci ? Jack, Kyllian, Nathan ? » Le cynisme d’Etheniel avait encore frappé.
« Pourquoi es-tu si...cynique ? Et puis, c’est aucun de ces trois noms-là ! Il s’appelle Pete et il est musicien. » Je fis la moue.
« Tu sais t’es pas obligé de les aimer ! Tant que je suis bien avec, c’est ce qui compte non ? » Je répondis à mon message et me levai.
« Bon, je te laisse finir. Pete m’attend. » J’embrassai mon frère et sortis de la chambre en sautillant.
New York, 27 février 2009 – Aéroport JFK « (...) Oui, je ferais attention...Non, je ne finirais pas prostituer pour louer une chambre dans un motel...Oui, je t'appellerai toutes les semaines. » « Les passager du vol 789 en direction de Los Angeles sont priés de se présenter à la porte d'embarquement. » La voix féminine résonna dans tout l'aéroport.
« Je dois te laisser, maman...Bien sûr que je t'aime, mais ce n'est pas à New York qu'on devient actrice. Allez, bisous ! » Je raccrochai. Depuis une semaine, ma mère me faisait la morale, se demandant ce qu'on avait tous à partir à l'âge de 20 ans. Dans ses paroles, elle faisait allusion au départ d'Etheniel au même âge. Suivant le flot de voyageur, je me mis à penser à mon frère et à tous les moments, tristes et joyeux, que nous avons eus. Je me souvins aussi de tous ces secrets que nous nous étions confiés. On s'était d'ailleurs dit quasi tout. Je ne lui avais jamais dit pour « l'épisode des toilettes », je n'avais pas envie qu'il s'en prenne à quelqu'un surtout que c'était un type qu'il connaissait sûrement malgré son caractère de solitaire et puis, je n'avais pas envie qu'il me prenne en pitié. J'avais changé du tout au tout avec les hommes, mais mon caractère n'avait pas changé d'un pouce. Perdue dans mes pensées, je ne vis pas l'homme devant moi si bien que je le percutai de pleins fouets. Un sourire, un regard, quelques mots d'excuse et c'était fini. Cependant, j'ai ressenti comme une connexion entre nous. Peut-être mon imagination encore.
Los Angeles, 10 mai 2011 – Appartement d’Eurydice « Non, mais je ne peux pas le croire ! Bande de crétins ! » Assise dans en indien dans mon fauteuil, je lançai de toutes mes forces le torchon que je tenais dans la main. Les journalistes n’avaient pas été tendres avec moi.
« Dénuée de talent (...) Heureusement qu’elle est jolie (...) Non, mais oh ! Ils se prennent pour qui ces types ! Qu’ils viennent sur scène et on verra si je suis juste bonne à montrer mon cul ! » Je bouillonnais et sans m’en rendre compte, je commençai à pleurer. Mon téléphone entonna la chanson
Top of the world de The Cataracs. Je ne pris même pas la peine de répondre à Miguel. D’ailleurs, il fallait que je le largue. Attrapant, l’appareil. Je composai le numéro d’Etheniel. Après trois sonneries, mon frère décrocha. Nous parlâmes une bonne demi-heure et je finis par le convaincre de me laisser habiter quelques temps avec lui. Lui laissant l’heure d’arrivée de mon avion, je me mis en quête de préparer mes valises. Tout en me dirigeant vers ma chambre, j’écrivis un sms de rupture à l’intention de ce pauvre Miguel. De toute façon, il ne me servait pas à grand-chose.
La vie est faite de choix. Oui ou non. Continuer ou abandonner. Se relever ou rester à terre. Certains choix comptent plus que d'autres : Aimer ou haïr. Etre un héros ou un lâche. Se battre ou se rendre. Vivre ou mourir. Vivre ou mourir. Le choix le plus important. Mais la décision nous appartient rarement. C’est la voix de l’hôtesse qui me sortit de mon sommeil. On était arrivé à l’aéroport d’Albuquerque. Aujourd’hui est le jour où je commence une nouvelle vie. Je serai toujours la même, mais à la fois si différente. Je deviens quelqu’un d’autre en restant la même. Je suis moi, mais je grandis.