Mes doigts se promenaient doucement sur les touches du piano, une mélodie s'élevait dans les airs. Le silence parmi les quelques personnes qui m'observaient jouer dans un coin de la pièce. J'aimais ce silence. Je l'avais toujours aimé. La musique me transportait dans un autre monde, loin de chez moi, loin de toutes les contraintes que l'on m'imposait. Le piano, mon voyage. Ce qui me permettait d'oublier mon quotidien l'espace de quelques minutes. Un quotidien qui ne me satisfaisait pas. Un quotidien régit par ceux qui m'avaient donné la vie.
Je jouais les dernières notes et lorsque la mélodie s'évanouit, j'entendis des applaudissements. Ma mère, mon père. Leurs amis auxquels ils avaient vanté mes talents musicaux. Des gens que je ne connaissais pas et dont la présence me gênait. J'entendis leurs voix s'élever et je me levais, prêt à quitter la pièce. Je n'avais pas fait deux pas que ma mère m'avait rattrapé. « Allons Sohan, que fais-tu ? Viens donc saluer nos amis. » J'acquiesçais en silence et je suivis ma génitrice dans le salon où mon père avait installé leurs invités. En nous voyant arriver, il m'adressa un sourire accompagné d'un regard qui signifiait que j'avais plutôt intérêt à bien me tenir. « Le petit prodige de la famille ! » Je détestais cette situation. On me mettais constamment sur un piédestal et je n'aimais pas ça. Je n'étais qu'un gamin comme les autres, mais personne ne semblait s'en rendre compte. On disait que j'étais un génie, je n'étais pas d'accord. On disait que plus tard, je serais un grand pianiste, mais, même si j'adorais le piano, je ne m'étais jamais dit que j'en ferais mon métier. On faisait de moi quelque chose que je n'étais pas. On m'interdisait d'être moi-même. Mes parents attendaient de moi que je sois parfait sans comprendre que jamais je ne le serais.
Je discutais quelques minutes avec les amis de mes parents - ou dire que je répondis à les questions serait plus juste - puis on me congédia et je quittai enfin le salon pour rejoindre l'Aile Ouest du manoir, où se trouvait ma chambre. J'étais dans une riche famille anglaise. Riche et noble. Et mes parents tenaient à leur noblesse. C'était quelque chose d'important à leurs yeux. Voilà quelque chose que je n'avais jamais compris. Moi, je me fichais bien de notre noblesse. Je me fichais de notre richesse. Lorsque je montais les escaliers qui menaient à ma chambre, j'aperçu une fille un peu plus jeune que moi, installée sur un canapé, devant une grande baie vitrée. Perdue dans la contemplation de la vue, elle semblait ne pas m'avoir remarqué. Je me laissais tomber à côté d'elle. « Qu'est-ce que tu fais ? » Elle haussa les épaules : « Je fais passer le temps comme je peux. On n'a pas tous la chance d'être le préféré de ses parents. » Aria, ma petite soeur. De deux ans ma cadette. Inexistante aux yeux de nos parents, qui avaient espéré avoir un deuxième fils à la place de quoi ils avaient eu une fille. Je crois qu'au fond, elle m'en voulait. De ne pas me révolter contre mes parents, de la laisser seule dans cette immense maison. Mais à l'époque, je ne remarquais rien. Elle n'allait pas bien et je ne le voyais pas. Je n'arrivais pas à lire les SOS qu'elle lançait dans ses yeux.

« Elle est canon, la nouvelle. » Je levais les yeux vers la fille en question. Elancée, mince. Brune aux yeux verts. Elle n'avait rien de spécial. Une anglaise banale, comme on en voyait à tous les coins de rue. Je haussai les épaules. « Si tu le dis. » Je n'étais pas le genre de garçon à baver sur X ou Y fille. Je ne leur trouvais rien de particulier. J'étais à part il fallait dire. Contrairement à tous les amis qu'avait ma soeur, je comptais les miens sur les doigt d'une main et cela m'était totalement égal : j'aimais la solitude plus que la compagnie de mes camarades. Comme on dit, il vaut mieux être seul que mal accompagné.
Mon ami leva les yeux au ciel : « Il te faut quoi pour trouver une fille canon ? » Ca, c'était une bonne question. Je ne m'étais jamais vraiment intéressé à une fille. Ni à un mec, d'ailleurs. À dix-sept ans, je n'avais encore jamais embrassé de fille ce qui étonnait Dean, mon meilleur ami qui ne cessait de me répéter « pourtant, t'es franchement pas moche ». J'étais perdu dans mes pensées lorsque la brune dont parlait mon ami arriva près de nous. Elle s'installa à notre table et nous adressa un grand sourire : « Je suis Kayla. Nous avons cours ensemble, je crois. » Elle s'adressait à Dean, toujours cet énorme sourire sur les lèvres. Le type de fille que je ne pouvais pas voir en peinture, à première vue. « Tu me présentes ton ami ? » Lors de notre première rencontre, je l'ai détesté. Cependant, j'ai peu à peu fini par l'apprécier malgré la première impression que j'ai eu d'elle - une fille un peu trop sûre d'elle, superficielle, bref vous voyez le tableau. Et pas longtemps après, Kayla m'embrassait. Je ne sais pas si l'on peut dire que je l'aimais à cette époque-là. Je l'appréciais voilà tout. Mais je sais que peu à peu, je suis vraiment tombé amoureux d'elle.

« Je n'ai aucune confiance en Kayla. » La remarque de ma soeur était arrivée lors d'une conversation des plus banales. Je levais les yeux vers elle. De quoi est-ce qu'elle se mêlait ? Parce que mademoiselle était populaire à l'école, elle croyait avoir le droit de me donner son avis sur ce genre de chose ? « Enfin, fais ce que tu veux. Mais je n'ai pas entendu des choses très glorieuses à son sujet. » Cette fois, j'accordais plus d'attention à ma cadette. Aria savait toujours tout. Elle était au courant des moindres ragots, de tout ce qu'il se passait au lycée. « Dis-moi ce que tu sais, Aria. » Elle haussa les épaules et se replongea dans mon livre. « Elle en a un deuxième. Je ne sais pas si c'est sérieux ou pas, mais ils couchent ensemble en tout cas. » J'esquissais un sourire avant de lever les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'il fallait pas entendre... « Ce n'est pas son genre. » « Si tu le dis, mais il y a quand même de grandes coïncidences. Le fait qu'elle annule votre rendez-vous le même jour que Dean t'apprends avoir l'appartement pour lui le week-end. » Elle n'était tout de même pas sérieuse ? Non, c'était improbable. Impensable. Et si... ? Je ne lui répondit même pas. Je descendis les escaliers et appelai Andrew, notre chauffeur pour qu'il m'amène au centre de Londres.
Lorsque je quittai la voiture, je lui demandai de m'attendre quelques minutes et je montai dans l'immeuble. Je frappai à la porte et quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit. « Bonsoiiiir, monsieur Watherly est actuellement... Oh, merde. » Kayla. Complètement ivre. Le bruit de la douche en arrière-plan - sans doute Dean. Je me retournai et je m'éloignai sans écouter ce que la demoiselle avait à me dire.

Quand je rentrais chez moi, ma soeur était toujours-là sur son éternel canapé. Le regard perdu dans le vide. Lorsque je m'assit à côté d'elle, elle tourna la tête et m'adressa un de ces sourires désolés dont elle avait le secret. Je n'ai jamais pu oublié cette image. Aujourd'hui encore, lorsque je pense à elle, c'est cette image qui s'impose dans mon esprit.

« Sohan, va voir où est ta soeur, veux-tu ? » J’acquiesçai sans rien dire et je me levais pour monter dans la chambre de ma soeur. Je frappai, aucune réponse. J'ouvris alors la porte et découvris ma soeur, couchée dans son lit - sans doute endormis. Je m'en approchais alors et la secouai pour la réveiller. Toujours aucune réponse. Elle était inerte.
Lorsque les secours arrivèrent, il était trop tard. Aria était morte. Suicide aux médicaments. Sur son bureau, une lettre. Un seul mot : « Désolée. »

J'avais décidé de prendre un nouveau départ, de recommencer à zéro. Il fallait que je m'éloigne de la capitale anglaise. De mes parents, qui voulaient absolument que je reprenne l'entreprise familiale, ce dont je n'avais aucune envie. Lorsque je posais mon pied au Nouveau Mexique, j'étais un autre homme. Peu sérieux. Déconneur. J'avais commencé à prendre de la drogue, à fumer comme un pompier. Et j'étais devenu un homme à femme. Depuis l'épisode Kayla, j'avais décidé de ne plus m'attacher à une femme. Alors je jouais avec elles, je me moquais de leurs sentiments. Un beau salop, voilà comment certaines m'appelaient. Un vrai connard.

« Alors, des nouvelles de ta belle brune ? » Je ris de façon forcé. Cela faisait à présent quatre ans que j'avais mis le pied sur le territoire américain et parmi les amis que je m'étais fait, il y avait Rayan. Une demoiselle à laquelle je racontais tout. Peut-être trop d'ailleurs. Je lui avais parlé d'une demoiselle qui se nommais Lou-Ann, sans la nommer bien entendu. Elle aussi, une fille charmante. Elle avait vécu les mêmes choses que moi, et nous étions un peu comme un remède l'un pour l'autre. Nous couchions ensemble régulièrement pour « oublier nos histoires ratées ». Seulement voilà, les sentiments s'y étaient mêlés et, même si ce n'était pas vraiment de l'amour, je ressentais à présent une certaine affection pour elle. « Toujours la même chose, ma belle ! Et toi, avec ta meilleure amie ? » « Arrête avec cette histoire ! Elle n'est qu'une amie, rien de plus... »

Jules Ainsworth a écrit:

Je ne le connais pas, mais il est mignon.
Fiche terminée ?


Tu me rassures, je ne suis pas la seule à ne pas le connaître. Bienvenue en tout cas.