«
ONE DAY HE'LL COME »
« Cendrillon, qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria dès le jour même à deux grands seigneurs de la cour. » J'entendis alors la dernière page de mon livre préféré se tourner. Mes paupières se faisaient lourdes, mais j'étais restée éveillée jusqu'à la fin, jusqu'à ce que le dernier mot fut prononcé. Celui-ci était d'ailleurs toujours le même. Ma mère m'avait déjà lu ce conte trente deux fois, mais je ne m'en lassais pas. Je connaissais la fin, et j'étais sûrement capable de reprendre ma chère mère dans le cas où elle crocherait sur un mot, mais je ne m'endormais jamais avant la fin. Un pacte fait avec moi-même.
« Je veux que mon prince vienne avec un poney moi. » Oh oui, un vieux rêve. Les poneys étaient quand même bien plus mignons que les chevaux. Et puisque ma mère ne cédait pas à ma demande incessante d'achat d'un poney, mon prince se devrait de m'en amener un.
« Tu t'arrangeras avec lui ma puce. » « Et tu crois qu'il viendra bientôt ? » Ben oui, l'envie devenait pressante. Pas de me soulager au toilette non, mais de monter sur un poney. Oh et pouvoir le caresser. D'ailleurs je rêvais de pouvoir tresser sa crinière … et si il pouvait être rose en plus, ce serait le pied géant.
« T'en fais pas, il sera là bien assez tôt. » Dur à croire, mais à cette époque, bien lointaine, cette explication m'avait suffit. Du haut de mes six ans, je ne ressentais pas encore l'ultime besoin de contrarier ma mère et de lui poser des centaines de questions. J'espère au moins qu'elle en a profité.
Elle ferma alors le livre et je sentis un petit souffle être propulsé contre mes cheveux. Je fermai les yeux, tandis que ma mère déposait ses lèvres sur mon front.
« Bonne nuit, fais de beaux rêves. » Elle pouvait compter sur moi pour ce coup. J'imaginais alors mon futur poney, un sourire aux lèvres … avant de tomber dans les bras de Morphée en cinq secondes. Encore un temps révolu qu'est celui de s'endormir en moins d'une minute.
«
LOOK I'M A SUPERMAN »
« Je veux jouer au foot. » « Les filles jouent à la poupée. » « Alors pousse-toi je suis pas une fille. » Il fallait le prouver ça … parce que techniquement j'étais bel et bien une fille. Une fille qui s'annonçait être des plus emmerdantes dans le futur, et dans un futur proche même. Mais j'en avais marre de devoir donner à manger à un bout de plastique et changer des couches propres. Huit ans, et déjà gavée par le métier de maman à plein temps. Oui. Moi, j'avais envie de jouer au foot. Pourquoi les garçons pouvaient-ils s'amuser alors que je devais changer le pyjama de ma poupée pour la neuvième fois ? Pourquoi devais-je cuisiner, pour de faux, pour mes peluches ? J'allais très certainement devoir le faire pour de vrai bien assez tôt … et cette idée ne me réjouissait pas des masses. Au contraire. Alors à huit ans, et trois jours précisément, j'avais envie de faire du foot. M'amuser.
« Mais euuh ! » Je me souviens parfaitement de ce gloussement. Duncan, qui deviendrait par la suite mon meilleur ami, venait de se faire dribbler par une fille. Dur à vivre très certainement. Et ça m'avait fait sourire. J'avais alors continué balle au pied. Bon. Je n'étais pas une Beckhamette qui s'ignorait, mais après une heure trente de jeu, j'avais réussi à faire une passe correcte, à arrêter de toucher la balle avec les mains et à mettre le ballon dans un but. Le mien, mais je comprendrais les règles du sport plus tard.
« On rejoue quand ? » « Avec toi jamais. » Il avait l'air sûr de lui … mais il m'avait pourtant supplié de revenir à la récréation suivante, parce que Johnny Fleming s'était bêtement tordu une cheville. Une telle blessure pouvait être la conséquence d'un croche-pied ? Oups alors, j'étais déjà têtue.
«
SAY A LITTLE PRAY FOR ME »
« Dylan Jayma Keegan ! » Oulà, ce genre d'interpellation n'était jamais bon signe. Ma mère adorait mettre bout à bout mon patronyme complet pour me remonter les bretelles, au sens figuré bien sûr. Si elle avait pu, elle aurait ajouté quelques prénoms pour rendre la chose plus théâtrale. Dommage, elle y penserait dans une autre vie.
Assise dans ma chambre, à même le sol malgré les supplications incessantes de ma mère pour me dire « Que dans cette maison il y a des sièges ! », je l'entendis monter les escaliers en trombe. La maison était tellement vide de vie que ce son résonnait. Oui, même à trois enfants, on arrivait pas à faire vivre la maison. Elle était trop grande, trop mal décoré, et tout un tas d'interdits … nous l'interdisait. Bref. Cinq, je fermais mon magasine, quatre, je le posais au sol, trois, il glissait sous mon lit, deux, je levais les yeux au ciel, un, la porte s'ouvrait.
« Oui ? » J'arborais mon air le plus innocent. Celui qu'on sort à quatre ans … mais qui ne marche plus du tout à seize ans.
« Dylan, il y a des sièges ... » « dans cette maison, oui je sais merci maman pour l'info incroyable. » Qu'est-ce que je vous avais dit ? J'y avais le droit à chaque coup. Mais elle détestait toujours autant que je finisse ses phrases … et mon ironie lui sortait par les oreilles. Ou les trous de nez au choix.
« Monsieur Beckett m'a dit que tu avais annulé son cours. » Mon professeur particulier de mathématique, d'histoire, d'anglais et de science naturelle. Il m'aidait aussi pour les cours de géographie et de sport d'ailleurs. J'acquiesçai alors de la tête.
« Tu n'arriverais jamais à passer ton diplôme si tu passes ton temps à annuler ses cours et à lire des imbécilités sans nom. » Elle criait oui. Mes oreilles s'en souviennent encore.
« Et ben je l'aurais pas alors. » Plus blasée que cela c'était impossible. Mais il fallait me comprendre, avec ma mère s'était toujours les mêmes disputes. Mon avenir, et son image. Parce que même sans ce Beckett, j'allais l'avoir mon diplôme. Mais sans mention, ce qui était, est et resterait inconcevable pour ma génitrice. Qu'allait penser ses amis de mes médiocres résultats ?
« Commence pas avec ça Dylan. Déjà que tu traînes avec n'importe qui, comment tu veux que je te trouve un mari si tu fais partie des analphabètes de ce siècle ? » Elle y allait un peu fort. Ca m'exaspérait.
« J'en veux pas de ton Dom Quichotte de toutes façons. » « Don Juan ma fille … » La différence s'il vous plait ? Quoiqu'il en soit, elle se mit alors à fouiller dans mes affaires pour trouver et déposer mon livre d'histoire sur mon bureau.
« Je viens t'interroger dans vingt minutes, gare à toi si tu ne sais rien. » Elle pointait un index menaçant dans ma direction et sortit de ma chambre, laissant la porte grande ouverte. De la fumée devait sortir de mes oreilles certainement. Je n'en pouvais plus. Et ne bougeait pas d'ailleurs, mon magasine était plus près de moi que le livre d'histoire. Feignasse moi ? Oui.
«
SINGING FOR THE DEAF »
« Souris. » J'esquissais alors un sourire, des plus forcés. J'avais dix-huit ans, mais ma mère m'avait relookée comme si j'en avais trente. En théorie en tout cas. Elle m'avait fait mettre une robe trop large, trop couvrante, trop rose pâle, trop moche. Un truc sorti de son armoire à mon humble avis. J'avais l'air d'avoir avalé un balais là dedans. Je pouvais à peine respirer. Pas parce que la robe était trop serrée, mais parce qu'elle devait faire col roulé. Jusqu'en dessous des genoux. Impossible de voir une parcelle de ma peau avec ça. Je n'avais pas l'habitude de m'habiller comme une pouffiasse, mais j'aimais bien les décolletés. Enfin bref. J'étais assise à table. Un dimanche de plus. Sauf que là, nous recevions. Et pas n'importe qui apparemment.
« Bon alors on prévoit le mariage l'année prochaine ? » Le mot mariage avait aussitôt résonné dans ma tête. Je recrachai l'eau que je venais de prendre en bouche et manqua de m'étouffer.
« Quoi ? » Mon regard passait de ma mère à nos invités, en passant par mon père. C'était un piège. Le jeune garçon assis à mes côtés était l'élu. Le fameux dont ma mère me parlait depuis toujours. Mais non. Je n'en voulais pas. Il était … comme ma robe. Trop large, trop habillé, pas assez bronzé et trop moche. Je me levai alors sans demander la permission, Satan m'en blâmerait plus tard.
Réfugiée dans la cuisine, ma mère me rattrapa après quelques secondes.
« Tu veux bien revenir à table ? » « Ca va pas non, plutôt mourir. » « Dylan ! » « Nan mais oui … et puis d'abord il a pas de poney ! » Je peux vous assurer que je venais au bout des nerfs de ma chère mère.
« Peut-être, mais il est parfait pour toi. » « Nan, il est pas parfait pour moi. Il est … il a rien. Et je veux pas me marier. Et je veux pas porter cette robe hideuse, et je veux pas non plus aller à l'université l'année prochaine, et je veux pas de tes conseils, ni de ton fric, et puis j'ai jamais aimé les aubergines. » Aucun rapport je le conçois, mais dans la colère j'avais déblatéré tout ce que j'avais sur le coeur. Vraiment tout. Les grandes lignes en tout cas. J'en avais marre. Et soudainement, je me sentais bien. J'avais compris. Ce qu'il me fallait c'était de la liberté. Pouvoir faire ce que je désirais. N'écouter que moi. Je pris alors le téléphone qui se trouvait dans la cuisine et partit en composant le numéro de Duncan.
« Yo c'est moi, tu peux venir me chercher ? Oh et t'as de la place dans ton lit pour cette nuit ? »«
BECAUSE LIFE SUCKS »
Sans rien dire, il était venu se coucher derrière moi et avait laissé sa main venir prendre la mienne. Il avait déposé un baiser sur mon front avant de simplement me serrer contre lui. Sa présence me réchauffait le coeur, mais elle n'apaisait pas ma tristesse.
« C'est pas ta faute tu sais. » Je le savais, mais je n'arrivais pas à me l'imprimer dans la tête. Je n'y avais été pour rien, et pourtant ce sentiment de culpabilité était ancré en moi. Je me remémorais les derniers instants passés avec mon petit frère, et je m'en voulais de ne pas avoir plus de souvenirs. J'avais toujours été proche de lui. Six années nous séparaient, mais bon nombre de bêtises nous rapprochaient. A la maison, il était toujours là pour me divertir, toujours là pour me couvrir ou pour m'avertir de l'arrivée imminente de notre mère alors que j'étais au téléphone malgré ma punition. Et en échange, j'avais été là pour le défendre contre le régime autoritaire de nos parents, le conseiller pour charmer sa première petite copine et lui insuffler différentes insultes. Mais depuis que j'étais partie de la maison, ce dimanche où l'on avait voulu me marier, je n'avais plus été si présente. J'avais pris un appartement, trouvé un travail, fait ma vie de mon côté. Je l'appelais parfois, on se retrouvait quelques fois, mais cela faisait six ans que je n'avais pas été la grande soeur parfaite. Je l'aurais voulu pourtant. A défaut d'avoir été la fille parfaite, j'aurais pu être la grande soeur idéale. Toujours là et toujours souriante. Ca, je l'avais été. Mais pas pour mon frère. Pour Duncan. Pour d'autres amis. Mais pas pour lui. Et là, je m'en voulais. Il avait eu un accident le soir précédent, une stupide idée de conduire avec plus d'alcool dans les veines que de sang. Idée mortelle. Littéralement.
« Ca va aller, je suis là. » Heureusement qu'il était là ce Duncan. Parce que j'allais devoir affronter ma famille, ma conscience et ma tristesse. Je m'étais alors blottie contre lui, fermant les yeux en espérant que tout serait terminé en les ouvrant.
«
POMPOMPIDOU … OU ! »
« Vous désirez partir combien de temps ? » « Deux semaines, tout ce que me laisse mon travail comme répit. » Des vacances, on en avait toujours trop peu. Mais vraiment trop peu. Et comme pour me torturer un peu plus, j'avais choisi de travailler dans une agence de voyage. J'organisais des voyages, je conseillais les gens sur des destinations paradisiaques où se reposer … tout ça depuis une pauvre chaise en bois devant un écran d'ordinateur qui ne me faisait pas bronzer un poil. J'avais tenté d'installer une lampe à UV, mais mon patron avait jugé cela trop dangereux. Les clients trouvaient étranges que je porte des lunettes de soleil pour tapoter sur mon clavier et l'odeur du bureau n'était définitivement pas celle de l'après-soleil. Triste vie. Mais non. En fait ça me plaisait. Et j'avais des prix sur mes propres voyages. Parfois je devais même tester des hôtels … bon plan. Un e-mail apparu alors sur mon écran, alors que je réservais l'hôtel de ce cher vacancier heureux. C'était Duncan. Pour ne pas changer. « Tu viens avec Ethan ce soir, faut que je te présente Emma. » Oups. Je fis alors une grimace devant mon écran, comme si je venais de faire une énorme erreur.
« Un problème ? » Je sortis de mes pensées pour recentrer mon attention sur le client.
« Non non … enfin pas avec votre réservation. » Mais avec ma vie en générale. Duncan s'était trouvé une nouvelle poupée. Sûrement une blonde tiens. Je la détestais déjà. Emma. Qui s'appelait comme ça de nos jours ? Emma Thomson ? Mouais bon. Emma Phrodite ? Ouais blague pourrie que je n'avais pu empêcher de faire ... et qui m'avait fait sourire quand même. Surtout que si elle était hermaphrodite, elle pouvait se débrouiller sans Duncan. Mais en plus je n'avais pas vraiment d'Ethan sous la main. Non. C'était, comment dire … une pure invention de mon esprit pour faire croire à Duncan que je ne passais pas mes soirées seule.
« Euh vous êtes libre ce soir ? » « Ben euh … oui, pourquoi ? » « Dîner au restaurant. Vous êtes mon petit ami depuis trois mois, vous m'adorez, je suis une déesse au lit, je parle plus à mes parents … oh et vous vous appelez Ethan ! » Ben quoi ? C'était vite résumé. Ca suffirait pour la soirée. C'était déjà arriver ces faux plans.