Un peu désarçonnée, Charlie grimaça. Sa soeur venait de lui proposer d'aller à la plage avec elle, et elle n'avait pas vraiment envie. La plage était synonyme de corps bronzés à moitié nus, de chaleur et d'impudence, pas vraiment le genre de choses auxquelles une parfaite catholique bien proprette s'adonnait en temps normal. Elle fronça les sourcils. Sa soeur aussi était catholique, bien que moins pratiquante que sa cadette. Elle n'était pas censée se montrer aussi peu pudique et exhiber son corps, c'était contre nature, et cela pouvait l'empêcher d'accéder au repos éternel aux côtés du Tout-Puissant. Elle devait rester parfaitement neutre. Sans cela, elle ne pourrait regarder les gens droits dans les yeux, et une honte puissante expressément requise par le Seigneur allait s'abattre sur elle.

Et puis, elle se rappela que Travis, Eliott, Jayden et James lui sous-entendaient - ou plutôt lui rabâchaient - souvent qu'elle ne se lâchait pas assez, et qu'elle passait à côté de bons moments en se cachant derrière cette foi qui ne lui rapportait rien de plus qu'une exclusion du vrai monde. Elle esquissa un sourire. Juste aller à la plage. Rien de plus. Elle n'aurait même pas à montrer son corps, et elle pourrait même lire son passage préféré de la Bible - l'arche de Noé - sous un parasol en regardant sa soeur s'amuser entre les vagues. Si il n'avait pas à se montrer, si Georgie -son aînée - ne la forçait à pas à entrer dans l'eau et si aucun ballon de plage n’atterrissait à ses pieds, elle pourrait faire l'effort d'y aller. Son sourire se fortifia, et elle accepta la demande de sa soeur, fière de pouvoir lui montrer qu'elle était devenue assez adulte pour faire la part des choses.

« Eh mince. »

Charlotte se sentait mal à l'aise. Habillée d'un simple maillot de bain deux pièces blanc trop échancrée, elle affichait un sourire crispé. Sa soeur avait finalement insisté pour qu'elle s'habille - si on pouvait appeler cela s'habiller - comme n'importe quelle personne qui se rend à la plage, et lui avait prêté ses propres affaires pour cela. Elle serra sa serviette de plage plus fort contre son ventre nu, cherchant un endroit pour se cacher. Elle n'était vraiment, vraiment pas bien. Ses jambes découvertes tremblaient à chacun de ses pas, et elle n'avait qu'une seule envie : détaler, aller à l'église, et se confesser pour s'être montrée aussi impudiquement. Et même la présence de sa soeur n'arrivait pas à l'apaiser. « Est-ce que l'on peut pas plutôt se poser à l'autre bout de la plage ? ... Non ? D'accord. ». Sa soeur ne voulait même pas poser sa serviette dans un endroit un peu moins fréquenté, et la força à installer ses affaires à côté d'une serviette qui sentait la cigarette à plein nez. « Merci mon Dieu, j'ai pensé à prendre ma Bible. » chuchota-t-elle pour elle-même.

Et dès la première page du bouquin en question, une vague d'apaisement parvint à Charlie. Elle ne remarqua même pas le haussement d'yeux de sa soeur alors que cette dernière se jetait dans les vagues en lui lançant un dernier coup d'oeil. Elle ne remarqua même pas les sourires des personnes près d'elle, qui reconnaissaient aux images le livre que Charlie lisait. Elle ne remarquait rien. Parce que quand elle était en connexion spirituelle avec le Tout-Puissant, rien ne pouvait la dévier de cela. Sous ses yeux, les lettres, les mots, les caractères s'animaient lentement, donnant vie aux histoires merveilleuses qu'elle lisait. Elle aimait ça. Et rien ni personne ne pouvait lui en tenir rigueur ou l'empêchait d'aimer Dieu en cet instant. Ou plutôt si.

Une goutte d'eau. Sur son livre. L'encre bava, laissant une grande traînée noirâtre sur la page déjà peu blanche. Une deuxième goutte d'eau. Le prénom de Judas s'effaça. Une troisième goutte d'eau. Sur le dessin du dernier repas de Jésus - la Cène. Charlie écarquilla les yeux, et releva la tête, cherchant du regard la personne qui osait abîmer - volontairement ou non - son livre préféré, son unique et seul bouquin à vrai dire. Et cette personne était sa voisine de plage - celle avec la serviette qui sentait la clope plus que l'adoucissant. Charlie lui jeta un regard noir, pensant d'abord à ne rien dire et à ravaler sa colère, mais elle n'arriva pas. Parce que cette jeune femme représentait à elle seule tout ce que Charlie n'arrivait pas à être. Elle sentit ses sourcils se froncer et ses yeux clairs la piquer.

« T'excuses pas surtout, sale hérétique ! » lâcha brusquement Charlie en fermant avec rage sa Bible.