living easy, living free. asking nothing, leave me be.

Il existe des relations qui ne s'expliquent pas, de celles qui se ressentent seulement parce que les évidences sont inutiles et les descriptions trop fades. C'était ce genre de sentiments qui avait poussé les pas du jeune homme. Habituellement, dès qu'il finissait son service, il rejoignait quelques amis dans un autre bar mais ce soir-là différait des autres. Une main dans la poche de son jean, l'autre tenant fermement la bouteille de tequila sciemment empruntée - volée serait-il le mot qui conviendrait ? - à son employeur, il s'enfonçait dans le sable, plissant les yeux à la recherche d'une silhouette qu'il connaissait assez bien pour avoir envie de sa compagnie, mais pas suffisamment pour oser prétendre qu'elle s'attendait à sa venue. Shane avait été, en résumé, un coup d'un soir qui s'était transformé en quelques entrevues agitées ; parce qu'elle avait daigné se confier au texan et qu'Oak était d'une nature franchement provocante.

La nuit n'était pas loin de tomber et, bien que quelques silhouettes se dessinaient encore sur le sable, il ne mit pas longtemps à reconnaître celle qu'il cherchait. Il avait connaissance de sa passion pour le surf, peut-être parce qu'elle l'avait mentionnée un matin, comme elle avait parlé d'autres détails de sa vie, et il n'hésita pas à presser le pas. Bientôt, le visage de la brunette se leva dans sa direction et il crut apercevoir une moue perplexe qui se dessinait sur ses lèvres. « Tu sais, pour quelqu'un qui se donne des airs de jument indomptée, tu es plutôt du genre prévisible. » lâcha-t-il lorsqu'il se retrouva à quelques petits mètres d'elle. Sa main droit vint s'abattre sur sa crinière, tandis qu'il observait la planche de Shane durant trois ou quatre secondes. Comme elle ne répondait pas, il osa un pas en avant. « Je crois que j'ai croisé Spencer en venant. » L'imprudent lui adressa un sourire de défi. Sentant la colère qui s'infiltrait dans chaque cellule du corps qui lui faisait face, il sortit la bouteille de tequila qu'il avait cachée derrière son dos. « En fait, je suis venu en paix. »

Pas certain que la paix dure indéfiniment, mais il fallait bien qu'elle résiste un peu plus s'il voulait avoir l'occasion de la pousser dans ses derniers retranchements.

Pendant longtemps, le surf avait été toute sa vie. Elle vivait surf, dormait surf, respirait surf. Sur sa planche, elle se sentait vivante, insouciante, libre. Dans l’eau, elle se sentait dans son élément. Peu de gens pouvait comprendre le frisson qu’elle ressentait quand elle prenait une vague. Sur la terre ferme, tout était différent. Elle ne se sentait jamais à son aise, cherchant constamment sa place dans un monde, qui tournait trop vite pour elle, ou peut être pas assez. Elle était toujours à contre temps, coincé quelque part entre son futur et son passé, sans véritablement être son présent. Les rares moments où elle sentait qu’elle était au bon endroit, c’était avec Spencer et elle ne l’avait pas vu depuis quelques jours.

Plantant sa planche de surf dans le sable, elle tire sur la fermeture de sa combinaison, pliant les manches au niveau de sa taille. La nuit allait tomber. Si elle avait pu, elle aurait continué à surfer, jusqu’au moment où la fatigue l’aurait submergé, mais elle n’était pas inconsciente. Elle ne craignait pas pour sa vie, oh ça non, elle s’en moquait même. Elle était plus effrayée à l’idée de s’écraser contre un rocher et de perdre ses jambes. Elle ne pourrait pas survivre si elle était incapable de monter sur une planche. Tournant la tête, elle s’attendait presque à voir Spencer débarquer. Elle le voyait partout ces derniers temps. Elle croisait son sourire sur le visage de parfaits inconnus, entendait le timbre de sa voix dans une foule. Elle aurait préféré croiser son regard plutôt que celui d’Etheniel Oak. Personne imbuvable. Shane avait fait l’imprudente erreur de baisser sa garde avec lui et il en avait profité pour s’immiscer dans ses plus profonds secrets, pire encore, il en profitait désormais pour la torturer. Habituellement quand elle le croisait, elle faisait en sorte qu’il ne la voit pas, mais ce soir, c’était raté. Elle le fixa, ne prenant même pas la peine de répondre à son attaque perfide. Sa mâchoire se serra, son regard s’assombrit à la mention de Spencer. Ca lui apprendra de se confier. Elle le jaugea du regard quelques secondes avant de prendre la bouteille de ses mains. Ouvrant le bouchon, elle but à même le goulot une longue rasade.

Sentant son regard persistant sur elle, elle émit un rire, qui n’avait rien de gentil. « - T’avais ramené ça pour qu’on partage ? » Elle s’assis dans le sable, remettant une mèche de cheveux derrière son oreille. « - J’ai partagé pleins de trucs déjà avec toi. Mon lit. Certains trucs que t’aurais jamais du savoir. Je mérite bien cette bouteille pour moi toute seule. Confie moi un truc énorme sur ta vie et j’accepte de partager. » Elle releva la tête pour lui adresser un sourire étincelant. La paix n’aurait jamais lieu entre eux. C’est comme ça qu’ils avaient créer leur relation, entre passion ravageuse d’un soir et remarques sarcastiques.

Les pupilles de l'impétueux vrillée sur la silhouette qui lui faisait face, il respirait calmement, laissant l'oxygène s'infiltrer profondément dans ses poumons. Le sel teintait le vent qui s'engouffrait dans les pans de son tee-shirt et il s'anima lorsque la jeune femme lui arracha la bouteille de la main, la portant directement à sa bouche. Sans attendre le moindre consentement. Ce n'était pas comme s'il avait imaginé qu'elle lui demanderait la permission mais, tout de même, il se permit un grognement peu élégant, et roula des yeux éberlués, même un peu trop exagérément quand il se fut assuré qu'elle regardait dans sa direction. C'était un jeu. Sans risque le jeu, et c'était certainement ce qu'il préférait dans leur relation. Il était vrai qu'il était du genre provoquant, cynique, qui feignait une indifférence dans tout ce qui l'entourait. Mais, précisément, tout n'était que savant mélange d'apparence et de faux-semblant. En réalité, il avait un peu de mal à accepter ce qu'il était. C'était d'ailleurs peut-être ce qui l'avait touché dans la confession de Shane ; elle prétendait être ce qu'elle n'était pas toujours, ce qu'elle n'était plus lorsque celui qu'elle aimait était à ces côtés. Si Ethen n'avait pas été aussi inconstant et instable, peut-être aurait-il été un bon ami vis à vis de la jeune femme, la conseillant dans ce qui était certainement une étape importante de sa vie amoureuse ; mais le fait était qu'il fût véritablement incapable de toute aide, car lui-même ne savait pas en demander lorsqu'il en avait besoin.

Elle le tira de ses mornes pensées en lui posant une question qu'il perçut comme une simple bravade. La jument indomptée se rebellait, c'était intéressant. Alors il tourna vers elle un regard intéressé, comme teinté d'une curiosité nouvelle. La suite des invectives venait-elle ? Il attendait. Pourtant, elle fit durer le suspens et il s'étonna à suivre chacun des mouvements féminins - comme sa main qui balaya ses mèches auburns derrière ses oreilles - avec une attention toute particulière. « J’ai partagé pleins de trucs déjà avec toi. Mon lit. Certains trucs que t’aurais jamais du savoir. Je mérite bien cette bouteille pour moi toute seule. Confie moi un truc énorme sur ta vie et j’accepte de partager. » Il l'écouta sans broncher, sans sourciller, jusqu'à ce qu'elle lâche sa dernière assertion. Assertion ou ordre, cela revenait en réalité au même. Elle en demandait un peu trop et inversait les rôles, ce qu'il n'appréciait pas. Lâchant un rire jaune, il se laissa tomber aux côtés de la brunette et tendit la main, s'emparant de la bouteille qui était, jusqu'aux dernières nouvelles, encore sienne. « J'ai été abusé quand j'avais cinq ans. Par le fils de ma nounou. » lâcha-t-il sans état d'âme, alors que ce n'était évidemment qu'un mensonge. Il porta le goulot à ses lèvres, sentant le regard pesant de la jeune femme qui s'accrochait à lui, comme si elle hésitait entre le croire et s'excuser, ou à le frapper parce qu'elle savait qu'il racontait le pire des blasphèmes. L'alcool roula sur sa langue et laissa une brûlure délicieuse dans sa gorge.

Cela eut l'effet escompté ; il rit. Hochant la tête de droite à gauche, il souffla le mot naïveté alors que son rire claquait dans l'air, comme étouffé dans un écrin. Puis, lui lançant un regard en biais : « Ne me dis pas que la petite O'Conell est intéressée par un détail qui ne concerne pas son Spencer ? » Il ne savait pas d'où lui venait cette aisance à remettre ce prénom sur le tapis. Quoi qu'il en soit, il décida de donner à la jeune femme un peu de répit et lui offrit la bouteille en haussant les épaules d'un geste nonchalant. « Crois-moi, tu n'as pas envie de savoir. » Peut-être la vérité était-elle vraiment là. S'il parlait beaucoup de Shane et profitait de ce qu'il savait sur elle, c'était parce qu'il lui était bien plus aisé de se moquer d'elle que de lui donner l'occasion de se moquer de lui.

Quelqu’un, quelque part, devait lui en vouloir. Quand elle était petite, ses parents ou leur prêtre – elle ne savait plus trop – avaient tendance à dire qu’il y avait une raison pour toute rencontre, que des personnes étaient mises sur notre route pour nous aider à trouver notre chemin, à grandir et à nous épanouir. Elle ne voyait pas trop la raison de la présence d’Ethen sur le chemin de sa vie. A part faire remonter des sentiments persistants pour un autre que lui, il ne servait à rien. Il l’agaçait au plus haut point, exposant ce que Shane s’évertuait tant à cacher aux yeux du monde. Peut être que dans d’autres circonstances, ils auraient pu s’entendre. Peut être même qu’ils auraient pu être plus que de simples amis. Dans d’autres circonstances, peut être. S’ils avaient été moins perturbés tous les deux. Si leur vie avait un semblant de normalité, peut être. Mais tout le monde sait qu’on ne base pas un monde sur les si. Et à l’heure actuelle, ils ne pouvaient pas être amis. Ils ne pouvaient même pas tenir une conversation de 5 minutes sans avoir envie de sauter à la gorge de l’autre.

La bouteille de téquila dans la main, elle avale une longue rasade. Ca lui brule la gorge, lui rappelant qu’elle est encore en vie, qu’elle peut encore ressentir des choses. Elle profite doucement de cette chaleur qui coule dans son corps. Tournant la tête vers Ethen, elle lui demanda un service. Un secret contre la bouteille, ça se valait non ? « J'ai été abusé quand j'avais cinq ans. Par le fils de ma nounou. » Shane ouvrit la bouche, puis la referma aux prises avec un tourment intérieur. Elle avait voulu obtenir un secret, elle l’avait eu. Elle s’était juste attendu à un moins gros, un petit de rien du tout genre j’ai couché avec ma prof de sport en terminal ou tout autre insignifiant. Un secret assez grand pour que Shane puisse le torturer avec, tout en restant dans le futile et superficiel. Et puis, elle réfléchit. Ca ne pouvait pas être vrai. Il ne lui aurait jamais avoué ce genre de chose. Comment on pouvait avouer ce genre de choses à une parfaite inconnue ? L’espace de quelques secondes, elle hésita sur la marche à suivre.

Naïve, voilà ce qu’elle était. Naïve et un peu stupide. Naïve d’avoir cru qu’Ethen lui confierait un secret. Naïve d’avoir cru qu’il garderait son secret dans le cadre privé de sa chambre à coucher. Il était insupportable. Quel genre de personnes pouvait mentir sur ce sujet ? Et pourquoi se sentait-il toujours obligé de remettre le nom de Spencer sur le tapis ? Elle allait finir par croire que lui aussi avait des sentiments pour le meilleur ami de Shane. Pourtant, suite à leur nuit, elle avait cru comprendre qu’il était plus que filles qu’hommes. Peut être qu’elle se trompait. Attrapant la bouteille, elle avala une nouvelle gorgée, laissant la téquila lui bruler la gorge. Elle n’avait rien manger de la journée, avait passé son temps dans l’eau. L’alcool fera vite effet sur son organisme. En attendant, elle s’empressa de se releva et se dirigea à grande enjambée vers l’océan. Rapidement, elle se retrouva les pieds dans l’eau, riant à gorge déployé. Avalant une nouvelle gorgée, elle se tourna vers Ethen qui la fixait, encore assis dans le sable. « - Oh si je meurs d’envie de savoir. Qu’est ce qui peut tant torturer Monsieur Oak. Un cœur brisé ? Non c’est pas ça ? Des parents riches mais absents. Non plus ? » Elle se mordilla la lèvre avant de dire la dernière chose qui lui passait par la tête. Elle ne voulait tout de même pas lui donner l’impression qu’elle s’intéressait à ce qui pouvait le bouleverser. C’était simplement de la curiosité. Malsaine peut être, mais curiosité simple. « - Oh nan laisses moi deviner, un problème de sexualité. T’es en réalité un gay refoulé ? »

Il avait d'abord cru à une blague. C'était d'un tel cliché, cette histoire de sentiments qui ne semblaient pas réciproques, cette tendresse plus qu'infinie nourrie envers une personne qui n'attendait rien de plus qu'une amitié sans borne. Puis, il avait compris que Shane se confiait réellement à lui, qu'elle lui ouvrait une partie de sa vie sans qu'il n'en saisisse les raisons. Peut-être la nuit qu'ils avaient passé avait-elle ouvert les yeux de la jeune femme, lui faisant comprendre que les différents bras dont elle s'entourait constamment n'étaient pas ceux qu'elle aspirait à sentir l'entourer fiévreusement. Qu'importe. Il l'avait écoutée jusqu'au bout, ne sachant pas très bien ce qu'il ferait d'une telle information, jusqu'à ce que la première bravade franchisse la barrière de ses lèvres ; puis la seconde, et la troisième, et l'énième. Pourtant, son but n'était pas véritablement de lui faire regretter d'avoir révélé son secret, mais plutôt de reconnaître que ce dernier n'était pas si terrible et qu'elle pouvait vivre avec lui comme on vivait avec n'importe quoi. C'était une vision des choses qui suivait le texan depuis toujours : selon lui, l'être humain avait une facilité d'adaptation incroyable et l'on s'habituait à tout. Oui, il restait persuadé que si Shane souffrait de la situation, elle ne s'en accoutumerait pour autant que mieux.

Il laissa le silence se faire entre eux, comme un fossé qui n'était pas suffisamment creusé et qui leur rappelait qu'ils n'étaient rien l'un pour l'autre et que, pourtant, ils étaient tous les deux assis côte à côte ; l'un ne cherchait à fuir l'autre. Du moins, jusqu'à ce que la brunette quitte la position assise, se redressant sur ses fines jambes qui la portèrent jusque vers l'océan. Il observa son manège immobile, comme paralysé par les gestes déjà presque mal assurés, en tout cas hésitants, qu'elle exécutait. Haussant un sourcil lorsque le rire franc de la jeune femme s'envola dans l'air salé, la curiosité piquée, il aperçut les derniers rayons du soleil briller sur le verre de la bouteille qu'elle levait à nouveau devant son visage, laissant certainement l'alcool anesthésier la souffrance qu'il provoquait sciemment. S'il se sentait coupable, ou en tant soit peu touché par cette espèce de vulnérabilité qui se dégageait d'elle ? Sûrement, oui. Mais Shane avait ce don. Celui d'ouvrir la bouche et de lui faire oublier qu'il n'était pas un crétin fini, précisément ce qu'il avait envie de lui faire croire qu'il était. « - Oh si je meurs d’envie de savoir. Qu’est ce qui peut tant torturer Monsieur Oak. Un cœur brisé ? Non c’est pas ça ? Des parents riches mais absents. Non plus ? » reprit-elle en le vrillant d'un regard qui le défiait, le provoquait, déchainait tout ce que le jeu permettait. Alors il se mit à jouer également, hochant la tête dès qu'une nouvelle proposition traversait les lèvres de la jeune femme.

Le fait qu'elle fasse référence à des parents le toucha plus que de raison, le déstabilisa même un peu, mais il s'était suffisamment entrainé à ne plus rien ressentir pour cacher le malaise. Et puis, avec de la chance, Shane était si prise par le combat qui se déroulait entre eux qu'elle n'avait rien remarqué. Soudain, il aperçut un signe et craignit qu'elle ne devinât. Se mordillant la lèvre, elle sembla danser d'un pied à l'autre. Tandis que les secondes s’égrainaient, il retira ses chaussures, se redressa et ses pieds s'enfoncèrent dans le sable, à mesure qu'il avançait en direction de la cible. Oui, c'était un peu ça après tout. Sa cible. « - Oh nan laisses moi deviner, un problème de sexualité. T’es en réalité un gay refoulé ? » S'ils n'avaient pas partagé une nuit, peut-être aurait-il ri avec elle, mais ils l'avaient fait et il dut avouer que son orgueil de mâle ne supporta que très mal le pique lancé dans sa direction. Cela dit, il valait mieux s'en sortir avec une entourloupe plutôt que la queue docilement baissée entre les jambes, comme un vulgaire chien que l'on viendrait de réprimander. « Exactement. » Un nouveau mouvement d'épaules. Il s'approcha encore un peu, peut-être trop. « Et tu te souviens quand mes doigts se sont posés là et là ? » continua le téméraire en la caressant du regard. « Tout le long, j'ai imaginé que tu étais un gars. Pas que cela demande un effort incommensurable, je te l'accorde. » asséna-t-il finalement en lui adressant un dernier coup d’œil peu appréciateur. Pause. Il sourit, amusé, en détournant les yeux, les laissant s'abîmer dans la contemplation des vagues qui s'échappaient dans le grand bleu. Il avait été un peu loin mais, après tout, elle avait commencé. Lui ne demandait qu'à poursuivre.

Elle ne savait pas ce qui lui avait pris ce soir là. Habituellement, elle faisait en sorte d’avoir quitter l’appartement le petit matin. Ils faisaient leurs petites affaires et elle partait ou poussait la personne qui l’accompagnait à partir. Elle ne faisait pas dans les sentiments. Elle couchait avec des personnes, hommes ou femmes et c’était tout. Elle utilisait la passion du moment pour faire taire ce vide qui existait en elle. Parfois elle y arrivait. Parfois, elle arrivait à ne plus penser à rien. Elle se laissait aller et oubliait la tristesse de sa vie. Et parfois – le plus souvent si elle était honnête – elle imaginait les lèvres de Spencer sur les siennes, ses doigts dans ses cheveux, son nom qu’il murmurerait. Parfois il lui arrive de fermer les yeux et d’imaginer que c’était Spencer en elle et pas un parfait inconnu qu’elle avait ramassé dans un bar. Voilà à quel point, sa vie était devenue triste. C’était pathétique, elle en avait conscience. C’était digne des clichés dont elle avait l’habitude de se moquer. La pauvre meilleure amie qui s’efface pour laisser l’homme qu’elle aime s’épanouir. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle est même pas sur de l’aimer. Elle supporte juste pas l’idée qu’il puisse être avec une autre femme qu’elle. Foutue jalousie.

Elle ne savait pas pourquoi ce soir là, elle avait décidé de passer la nuit avec Ethen, pourquoi elle s’était allé à ses confidences. Peut être parce qu’elle avait ressentir cette douleur qu’il essayé d’oublier alors que leurs corps ne faisaient plus qu’un. Elle avait eu d’être comprise. Ce qu’elle avait pu être bête. C’était un mec. Il n’utilisait les confidences que dans l’unique but d’affaiblir les filles. Attrapant la bouteille, elle courut dans l’eau. Laissant l’eau s’écraser contre ses pieds, elle profitait du contraste entre la chaleur que l’alcool propageait dans son corps et le doux vent qui emmêlait ses cheveux. Elle méritait bien une petite confidence. S’il ne voulait pas la lui donner, elle la devinerait. Elle proposa plusieurs options, qui furent tous refusés. Jusqu’à la théorie du gay refoulé.

Ouch touché dans son égo. Elle le regarda s’avancer vers elle avec cette démarche féline, qui l’avait poussé à le draguer ce soir là. « Et tu te souviens quand mes doigts se sont posés là et là ? » Elle déglutit difficilement. Elle avait l’habitude d’être déshabillé du regard, mais lui le faisait avec une telle intensité que c’en était dérangeant. A la mention de leur nuit, elle eut l’impression de ressentir à nouveau ses mains sur son corps, mais elle n’en montra rien. « Tout le long, j'ai imaginé que tu étais un gars. Pas que cela demande un effort incommensurable, je te l'accorde. » Un éclat de rire s’échappa des lèvres de la jolie brune, légèrement éméchée. Elle haussa les épaules, nonchalante. Shane n’avait aucun souci avec son physique. « - On a tous une pensée qui nous permet d’atteindre le 7e ciel. » Elle avala une nouvelle gorgée de téquila. A ce rythme là, elle ne tiendrait pas longtemps. Elle s’approcha d’Ethen. Sa main se posa sur son torse, jouant avec le haut de son tshirt. Elle releva la tête vers lui et approcha son visage du sien avant de murmurer : « - Tout le long, j’ai pensé à Spencer. » C’était pas vrai. Il faisait parti de l’autre catégorie, celle qui lui avait permis d’oublier le jeune homme l’espace de quelques heures. C’est peut être pour ça qu’elle s’était senti obligé de faire toutes ses confidences au matin.

Ce qu'il taisait, et qu'il dissimulait plutôt bien, était les sentiments profonds qu'avaient réveillé les confidences de la jeune femme. S'il était vrai qu'il s'en servait à présent tout à fait sciemment, ce matin-là, il en avait été tout autrement et il l'avait écoutée. Etheniel avait toujours eu une vision des relations entre homme et femme plutôt loin d'être banale et, bien qu'il n'eût jamais partagé une réelle intimité - autre que physique - avec l'une de ses conquêtes, il était fermement convaincu que chacune d'entre elles avait marqué sa vie d'une façon ou d'une autre, l'avait gravée d'un bon ou d'un mauvais souvenir, lui avait fait ouvrir les yeux avec un mot ou l'autre ou, au contraire, l'avait totalement braqué parce qu'il était d'un avis différent. Il n'était pas du genre sentimental, ni même du genre qui espérait l'être, il avait simplement appris à prendre ce qu'on lui offrait. Shane lui avait donné sa vérité, avoué une part de sa vérité du moins, et s'il jouait avec les apparences - trompeuses, les apparences - en feignant celui qui n'en avait cure, c'était certainement parce qu'il n'avait lui-même pas conscience de ce que représentait une vie avec ce genre de vide. Il en était atteint, ce manque le poursuivrait probablement toute son existence, mais il l'avait enfoui si profondément, l'avait si bien géré, qu'il l'oubliait.

Le rire de la jeune femme le ramena sur la plage, le forçant à quitter brutalement ses pensées. Il posa un regard curieux sur la silhouette qui se balançait au rythme du mouvement de ses épaules. « - On a tous une pensée qui nous permet d’atteindre le 7e ciel. » Voilà qui lui paraissait très philosophique. D'un bref coup d’œil, il évalua son état et en conclut que l'alcool faisait bien trop rapidement son effet sur elle. Pourtant, lorsqu'elle souleva la bouteille pour s'abreuver à nouveau au goulot, il ne dit rien. Après tout, il n'était pas paternaliste, et surtout pas avec une fille comme Shane, qui n'hésiterait pas à le remettre à sa place s'il daignait, un tant soit peu, montrer qu'il s'inquiétait. Il ne la connaissait que très peu et, pourtant, il imaginait sa réaction, les yeux levés au ciel, tandis qu'elle lui demanderait, de manière peu amène, s'il voulait bien mettre le nez dans ses propres affaires. Il ne fut pas étonné de sentir sa main s'abattre sur son torse ; l'alcool rapproche, n'est-ce pas ce qu'on dit ? Mais lorsqu'elle approcha son visage du sien, il s'appliqua à refouler les images confuses imprégnées dans son esprit, se concentrant sur les mots qui claquaient dans l'air. « - Tout le long, j’ai pensé à Spencer. » Surpris par l'aplomb, il haussa un sourcil, s'attendant à ce qu'elle continue, mais puisque le récit s'arrêtait là, il fit un dernier pas, arracha la bouteille des fines mains et se recula promptement avec un air triomphant. « Tu as trop bu, voilà que tu divagues ! »

Divaguait-elle vraiment ? Et puis, pourquoi cela lui importait-il après tout ? Ils avaient passé un bon moment, c'était tout. Peu importe qu'elle ait pensé à un autre. Lâchant un nouveau rire teinté d'amertume, il consola son orgueil meurtri en trempant ses lèvres dans la brûlure de l'alcool, s'enfonçant un peu plus dans l'océan. Juste de quelques pas, puis se retourna vers elle, un sourire au coin des lèvres. « Quoi que je parie que tu en serais capable. Une tornade ne t'enlèverait pas ce gars de la tête. » Ce n'était pas un reproche, ni même une provocation cette fois, seulement une assertion. Attiré par le jeu, la curiosité s'y mêlant, il retourna sur ses pas en ravalant une gorgée, s'arrêtant ensuite en face d'elle, le regard sérieux. « Bon, alors dis-moi. Qu'a-t-il de si extraordinaire ? Tu es attirée parce que tu ne peux avoir ? » Il aurait presque paru sincèrement intéressé, debout là, en face d'elle, immobile, les vagues s'écrasant sur ses mollets.

Vide. C’était exactement le mot qui décrivait ce que ressentait Shane. Elle se sentait vide. Elle n’avait jamais réussi à trouver sa place. Le surf lui avait apporté la sérénité qui lui avait toujours manqué. Elle avait cru pouvoir se construire à travers sa carrière de surfeuse, mais son corps en avait décidé autrement. Quand on lui avait enlevé le surf, on lui avait enlevé son identité. Elle avait toujours vécu pour être surfeuse et une fois ça parti, elle n’avait plus su quoi faire. On lui avait conseillé alors de faire ce qu’elle aimait, mais elle n’avait aucune idée de ce qu’elle aimait. Alors on lui avait dit d’être elle-même, sauf qu’elle ne savait plus qui elle était. Elle n’était pas sûre de l’avoir su un jour. Et la seule personne avec qui elle n’avait pas besoin de prétendre, c’était Spencer. C’était peut être la raison qui l’avait poussé à tant s’attacher à lui. Et maintenant qu’il avait une petite amie, elle était revenue sur l’autre conseil : faire ce qu’elle aimait. Or ce qu’elle aimait, c’était le surf, l’alcool et le sexe. Oui Shane était une fille futile, elle en avait conscience. Malheureusement, ça ne l’aidait en rien à oublier le vide qu’elle ressentait sans cesse.

Elle n’avait rien mangé de la journée, avait passé celle-ci à surfer. Autant dire que l’alcool la mit tout de suite de meilleure humeur. Elle en aurait d’ailleurs bien besoin si elle devait supporter les remarques d’Ethen sur sa relation avec Spencer. De longues gorgées plus tard et son cerveau s’embrumait déjà, mais elle avait encore pleine possession de ses capacités. Sa main sur le torse d’Ethen, elle mentit. Un petit mensonge sans conséquence, si ce n’est pour l’égo d’Ethen. Il faisait parti de la rare catégorie des personnes qui avait réussi à lui faire oublier Spencer l’espace de quelques heures. « Tu as trop bu, voilà que tu divagues ! » Elle nia d’un mouvement de la tête avant de s’éloigner de lui. Shane pouvait devenir une horrible personne quand elle désirait. Il voulait l’embêter avec la confession qu’elle lui avait faite au matin, elle pouvait faire pire avec son égo. « - Pas du tout. J’imaginais ses mains qui me caressaient, ses lèvres sur les miennes. » Elle en rajoutait, histoire qu’il comprenne bien qu’elle ne se laisserait pas faire, que ce n’était pas son genre de se laisser marcher sur les pieds. On l’attaquait sur sa vie privée, elle répliquait sur l’égo.

« Quoi que je parie que tu en serais capable. Une tornade ne t'enlèverait pas ce gars de la tête. » Elle avait envie de dire que si parfois, elle arrivait à l’oublier mais ça reviendrait à avouer qu’elle avait menti et il n’en était pas question. Elle ne répliqua rien, se contentant de jouer dans l’eau avec son pied. D’un coup de pied, elle éclaboussa Ethen pour qu’il comprenne qu’elle n’avait pas aimé sa remarque. « Bon, alors dis-moi. Qu'a-t-il de si extraordinaire ? Tu es attirée parce que tu ne peux avoir ? » Elle le fixa quelques secondes pour voir s’il avait l’air sincère avant qu’un éclat de rire s’échappe des lèvres de la jolie brune. Elle s’était faite avoir une fois, il n’y aurait pas de deuxième fois. « - Oh non. Plus aucune confidence de ma part. » Elle récupéra la bouteille des mains d’Ethen et la mis derrière son dos, comme une petite fille de 5 ans qui voudrait cacher un dessin qu’elle avait fait pour ses parents. « - J’attends toujours ma confidence. En échange, t’auras le droit à la bouteille. »

Patiemment, il attendait la réponse. D'un mouvement agile, la bouteille glissa entre ses doigts, d'une main à l'autre, jouant avec les reflets des dernières flèches dorées du soleil. Quelques secondes de flottement, d'occupation futile ; il se surprit à l'attendre réellement, la réponse de Shane. Il se moquait d'elle c'était vrai, mais cette fille avait au moins le don de piquer sincèrement sa curiosité. Au moins, cela lui faisait oublier le moment où son orgueil avait été meurtri d'un sacré coup bas. Quoi que, très sincèrement, il avait apprécié la répartie ; il n'y avait rien de pire qu'un interlocuteur qui se laissait malmener sans sortir les griffes. Si Ethen aimait la provocation, c'était avant tout parce qu'il aimait les joutes verbales, et cela nécessitait un vis-à-vis un plus plus combatif que la normale. Comme Shane en cet instant précis, qui se défendait, il fallait être franc, plutôt bien.

Triomphant, jubilant intérieurement d'avoir récupéré son précieux bien, il reposa le goulot de la bouteille sur ses lèvres, observant que la jeune femme n'en profitât pas pour lui jouer un mauvais tour. Mais ce fut son rire, plutôt qu'une entourloupe, qui s'échappa dans l'air marin. Elle ne le croyait pas, il le lisait dans ses pupilles. Elle avait probablement raison, il n'était pas l'homme le plus digne de confiance, et il l'avait déjà bassement prouvé en se montrant d'une irritabilité exécrable. « - Oh non. Plus aucune confidence de ma part. » Une ridule vint zébrer son front, tandis qu'il plissait les yeux en une moue faiblement désabusée. C'était décevant, lui qui s'était finalement pris au jeu de la découverte. Tentant de lire dans les yeux qui le vrillaient, il en perdit l'objet des convoitises, et s'aperçut trop tard que la bouteille glissait déjà de ses mains, se retrouvant brusquement dissimulée derrière la silhouette féminine qui lui faisait face. Ce fut un soupir agacé qui s'échappa de ses lèvres entrouvertes, alors que Shane avait l'air d'une gamine qui avait gagné un fabuleux prix à la tombola.

« - J’attends toujours ma confidence. En échange, t’auras le droit à la bouteille. » Il l'aurait parié. Une confidence ? Il n'était même pas certain d'en avoir. Rien de passionnant, en tout cas. Haussant les épaules en enfonçant ses pieds dans le sable mouillé, il lui jeta un regard amusé. Parce qu'il l'était cette fois. Son comportement lui rappelait celui d'une petite fille. C'était la meilleure ; lui sentait à peine l'effet de l'alcool alors qu'elle était déjà bien lancée, et c'était elle qui obtenait la bouteille. « Premièrement, c'est à moi. » lâcha-t-il avec un signe de la tête en direction de ce qu'elle dissimulait derrière son dos. Puis, fixant ses prunelles, il s'avança suffisamment près, mais s'arrêta à une limite raisonnable. « Deuxièmement, tu crois vraiment que je ne peux pas atteindre ton dos ? » Un ton un peu condescendant, lui prouvant qu'il était près à la récupérer contre son gré. « Planque-la où tu veux, je viendrais la chercher. » Silence. Sourire en coin. « Tu veux une confidence ? Je te donne un conseil : ma langue se délie grâce à cette potion magique. »