« Funny, did you hear that? »La voix fluette de la jeune fille raisonnait dans la grande salle, créant une atmosphère paisible et agréable. Les notes de musique, jouées sur un piano à queue d’un noir chatoyant, se mêlaient parfaitement aux paroles de la chanson. Assise sur le tabouret, Barbra chantait, le regard lumineux. Un sourire espiègle habillait ses lèvres pulpeuses, et ses cheveux, aussi noirs que les plumes d’un corbeau, semblaient flotter tout autour de son visage. Il se dégagé d’elle un incroyable sentiment de force et de fierté, rien ne paraissait pouvoir la renverser.
Postée à son côté, sa mère jouait les notes. Elle ne prenait pas la peine de regarder les touches du piano, connaissant cette chanson sur le bout de ses doigts. Son regard, remplit d’admiration, était tourné vers sa fille. Cette dernière lui ressemblait beaucoup : ses cheveux étaient plus longs, mais leur couleur ébène trahissait le lien de parenté. Sa peau, d’une teinte beige, était aussi douce que celle de sa mère. Elles n’avaient pour différence que la pigmentation de leurs yeux, marron pour la mère, et bleus pour la fille. Celle-ci les avait hérités de son père, inconnu encore aujourd’hui. Barbra ne l’avait pas connu, et ne le connaîtra probablement jamais. Il n’aurait su dire à quoi il ressemblait, ou s’ils possédaient les mêmes goûts concernant la musique et la nourriture. Mais la jeune fille ne ressentait pas ce manque constant que décrivaient ses amis aux parents divorcés. Son esprit était trop occupé pour cela.
« The guy said ‘‘Honey, you’re a funny girl’’. » En fin de phrase, les notes s’arrêtèrent. Les doigts de la mère se figèrent, et son regard auparavant enthousiaste se transforma. Ses traits se crispèrent et sa voix raisonna dans la pièce :
« Je t’ai déjà dit que ta voix doit passer dans l’aigu pour cette chanson ! » Toute la fierté que possédait Barbra s’évapora en une seconde, et son sourire se changea en une grimace lasse.
« Je n’y arrive pas, maman. » « Ce n’est pas en disant cela que tu y arriveras, crois moi ! Reprenons, maintenant. »Les talons de l’adolescente claquaient à vitesse régulière contre le bitume. Elle trainait derrière elle, non sans difficulté, une énorme valise à roulettes. Cette vision aurait pu paraître comique, s’il on n’en connaissait pas la cause. Mais Barbra n’avait pas la moindre raison de rire, ce soir là. Elle marcha encore un moment, sans prendre la peine de regarder les panneaux de direction. Elle connaissait sa destination, pour y avoir déjà mis les pieds plus d’une fois. Elle longea l’allée, évitant les arbres au milieu du trottoir, puis ses jambes s’immobilisèrent. La jeune femme se tourna et fit face au
6634 West Polk Street, Phœnix. La maison de couleur grise, possédait deux étages, agrémentée d’une fenêtre donnant sur chaque pièce, et un grand garage, où l’on avait sans doute rangé une belle voiture. Elle semblait plus petite que la sienne, mais elle détenait cette atmosphère chaleureuse et conviviale que sa maison n’avait jamais eue. Barbra fit quelques pas, et frappa trois coups, récitant silencieusement la prière que lui avait apprise le prêtre il y a de cela six ans. Lorsque la porte s’ouvrit, un visage rayonnant apparut.
« Bonjour, Barbra. » « Bonjour, madame Hudson. Est-ce que Sean est là ? » « Bien sûr, je l’appelle. » Elle partit dans le salon, prononça des mots que Barbra n’entendit pas, puis s’en alla vers la cuisine. La jeune fille ne remarqua qu’alors les odeurs délicieuses qui s’échappés de la pièce. Mais son attention revint dans le hall, lorsqu’un garçon, âgé d’une quinzaine d’années, débarqua face à elle. Dès qu’elle le vit, les larmes qu’elle avait réussi à retenir jusqu’ici, se précipitèrent au coin de ses yeux. Ne sachant que dire, elle s’effondra contre son torse, se laissant aller à sa tristesse et à son désespoir. Le jeune homme la serra du mieux qu’il pût, caressant ses cheveux pour calmer ses pleurs.
Barbra entra dans la chambre, chaussures à la main. Elle regarda la pièce qu’elle avait déjà occupée des tas de fois. Elle s’assit sur le lit, palpa les draps de ses doigts, respirant à plein nez l’odeur de propreté. Sean entra à son tour dans sa chambre. Il déposa la grande valise dans un coin, puis s’installa aux côtés de Barbra. Ils fixèrent tous deux le sol, préférant garder le silence un moment encore. Les deux adolescents se connaissaient depuis déjà des années. Ils étaient devenus des meilleurs amis, frère et sœur de cœur, comme ils le disaient si bien. Ils avaient appris à se connaître, et savaient tout l’un de l’autre. Ils ne se cachaient rien, et pouvaient parler des heures durant au téléphone. Parfois, Sean venait en cachette chez Barbra. Il avait trouvé le moyen de grimper jusqu’à sa fenêtre, sans troubler le sommeil de la ‘méchante sorcière’. C’est ainsi qu’il appelait la mère de Barbra, bien que cette dernière n’apprécia guère, jusqu’à aujourd’hui.
« C’est vraiment gentil à ta mère d’avoir accepter. » Un faible sourire se dessina sur les lèvres de Barbra. Si Madame Hudson ne lui avait pas permis de dormir ici, qui sait ce qui serait advenue d’elle ? Sa mère ne voulait plus d'elle, préférant son confort personnel que celui de sa fille, pas assez parfaite à son goût.
« Elle n’aurait pas pu te dire non. Elle t’apprécie trop pour ça. » Sean tourna son regard vers la jeune femme, admira ses longs cheveux noirs et sa peau de pêche. Il se demandait parfois comment une fille aussi belle pouvait être amie avec lui, jeune garçon innocent et rejeté par la plupart de ses camarades de classe.
« Merci aussi à toi. » Barbra se tourna vers lui, et ses yeux, pétillants comme par magie, lui coupèrent le souffle. Elle se pencha et déposa un baiser sur sa joue, comme pour le remercier d’avantage. Puis, elle alla déballer sa valise, le laissant seul, hébété et ahuri.
Barbra entra en trompe dans la petite maison, claqua la porte de l’entrée et fit vaciller les courses, qui atterrirent sur la table du salon. Elle tenait dans sa main un petit carton rectangulaire, aux inscriptions pharmaceutiques.
« Sean? » Criant le nom de son petit-ami, elle alla dans la cuisine, espérant que personne ne s’y trouverait. Mais le calme régnait en maître, et Barbra laissa échapper un faible soupir de soulagement. Elle se dirigea vers les toilettes. Après avoir bien verrouillé la porte et s’être assise, elle porta son attention sur la petite boite blanche.
‘’Fiable et précis, vous pouvez être sûre du résultat !’’ Quelques goûtes de sueur se mirent à perler au niveau de ses tempes lorsqu’elle l’ouvrit. Le stress était à son comble, et la jeune femme dut s’y reprendre à deux fois avant d’y parvenir. Une fois le test fait, elle le plaça sur ses genoux, et attendit tout en priant à voix haute. Des images de nouveaux nés envahirent ses esprits, et rien ne pouvait les faire partir. Que se passerait-il si le test indiquait qu’elle était enceinte ? Qu’adviendrait-il de son futur professionnel, de sa vie avec Sean ? Barbra secoua sa tête de droite à gauche, comme pour effacer ses horribles pensées. Elle ne devait pas raisonner comme sa mère, qui l’avait laissé à un âge où les gens sont si vulnérables. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser à l’horrible mère qu’elle serait. Elle n’avait pas eu le bon exemple, car son enfance n’avait été qu’ordre, crainte et dureté. Barbra ne voulait pas cela pour ses enfants, surtout pas pour celui qui était peut-être déjà en préparation. Non, elle n’avait pas encore acquis assez d’expérience pour pouvoir en élever un maintenant.
Son regard, jusqu’alors fixé sur la poignée de la porte, se baissa sur ses jambes.
Un petit plus était inscrit sur le test de grossesse.
Cher Sean,
Ne t’en fais pas pour moi, je vais bien. J’ai bien reçu tous tes messages, vu tes appels et lus tes lettres. D’ailleurs, j’aurai du t’envoyer celle-ci bien avant, mais je n’en ai jamais eu le courage. Néanmoins, je pense l’avoir acquis à présent.
Il s’en est passé des choses, depuis mon départ. Rien de bien méchant, au contraire. Je pense que tout est revenu dans l’ordre, et j’espère vraiment que cela restera ainsi pendant un moment. Tu sais, quitter Phœnix n’a pas était facile. Je l’ai regretté dès que mes pieds ont touché l’habitacle de l’avion. Je me suis dis que te laisser ici, seul et sans aucune explication, était un acte honteux et impardonnable. Tu peux me détester, ne plus souhaiter me parler. C’est entièrement de ma faute, et je ne t’en voudrais pas. Mais s’il te plaît, comprends que ce que j’ai fait était fondamental, aussi bien pour toi que pour moi. Tu vas s’en doute te demander pourquoi, mais je ne veux pas te répondre. Je ne m’y résoudrais probablement jamais, et c’est mieux comme ça. Crois-moi.
J’espère que tout va bien pour toi. Tu me manques.
Un jour, nous nous reverrons. Je te le promets.
Barbra.